Jusqu’à présent, l’autodéfense n’a pas eu la place qu’elle mériterait dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Non seulement son efficacité est largement méconnue, mais elle fait aussi l’objet de nombreux préjugés qui en ont donné une vision réductrice, voire erronée.

Encourager les femmes à prendre en main leur propre sécurité grâce à l’autodéfense, c’est leur donner des solutions rapides et concrètes en attendant que les institutions les protègent mieux et que le comportement des agresseurs change.

Non, la violence envers les femmes n’est pas une fatalité.

Non, il ne suffit pas de fournir une assistance psychologique, matérielle et juridique aux femmes une fois qu’elles ont déjà été victimes : il faut aussi leur donner les moyens de ne pas l’être.

Oui, on peut apprendre aux femmes, dès leur plus jeune âge, à se défendre face à la violence.

Oui, on peut apprendre aux hommes, dès leur plus jeune âge, à respecter les femmes et à les soutenir face à la violence.

L’autodéfense, ça marche et c’est prouvé

Plusieurs programmes d’autodéfense pour femmes conduits à travers le monde ont prouvé leur efficacité dans la prévention contre les violences faites aux femmes. En voici quelques-uns dont les résultats sont particulièrement impressionnants :

  • No means no (traduction : Non c’est non) est un programme de prévention contre le viol mis en place en Ouganda et au Kenya au profit des jeunes filles mais aussi des jeunes garçons entre 10 et 20 ans, notamment dans des bidonvilles où les jeunes filles subissent une grande violence sexuelle. Il s’est ensuite développé dans d’autres régions du monde. Le programme repose sur une formation de 12 heures basée sur des techniques physiques, verbales et des jeux de rôles destinés à apprendre comment faire face à une agression. Le programme a donné des résultats spectaculaires : plus de la moitié des jeunes filles formées a évité un viol grâce aux techniques enseignées[1]. Ces résultats ont été mesurés et étudiés par des revues scientifiques et ont poussé le gouvernement kenyan à rendre les cours d’autodéfense obligatoires dans les lycées de Nairobi depuis 2017.
  • Un programme d’autodéfense a été mis en place dans 3 universités canadiennes pour lutter contre le fléau des agressions sexuelles sur les campus. Les résultats, évalués par l’Université de Windsor, furent stupéfiants : pour les 893 étudiantes ayant suivi le programme d’autodéfense de 12 heures, une réduction de 46 % dans le nombre de viols subis et de 63 % dans les tentatives d’agressions sexuelles a été constatée. D’autres études similaires corroborent ces conclusions[2].
  • Un rapport commissionné en 2005 par le National Institute of Justice aux Etats-Unis[3] a montré que l’utilisation de techniques d’autodéfense réduit de plus de 80% le risque de viol (par rapport à l’absence de résistance) et qu’elle n’augmente pas de façon significative le risque de blessures graves pour la personne qui les utilisent.

Si l’apprentissage de techniques d’autodéfense permet en moyenne de réduire la violence envers les femmes d’au moins 50%, pourquoi la France n’a-t-elle toujours pas encouragé ce genre de mesures ? A cause d’idées reçues et de préjugés auxquels il est grand temps de tordre le cou, pour donner aux femmes la capacité de ne plus être victimes, en attendant que les mentalités évoluent et que la violence diminue.

Pour en finir avec les préjugés sur l’autodéfense

L’autodéfense est souvent mal connue, et mal comprise. Certaines personnes la réduisent à quelques techniques physiques de frappes et de saisies. D’autres l’assimilent à l’usage libre d’armes à feu au sein de la population civile, à cause des dérives sécuritaires observées dans des pays comme les Etats-Unis, où certaines influenceuses osent même vanter les mérites des armes sur les réseaux sociaux sous couvert de féminisme.

Pourtant, dans son principe et sa philosophie, l’autodéfense n’a rien à voir avec ces visions réductrices ou dangereusement extrêmes : elle est avant tout un état d’esprit et une façon de se comporter au quotidien pour assurer sa propre sécurité, dans le respect des autres et de la loi. Apprendre à se protéger, c’est d’abord développer son attention au monde et aux gens que l’on croise pour percevoir les dangers potentiels puis agir de la façon la plus efficace possible pour se soustraire au danger sans aggraver la situation. Ce n’est qu’en dernier recours, si aucune autre solution n’est possible, qu’on en vient à des techniques de riposte physique. C’est pour cette raison que les principes de base de l’autodéfense sont à la portée de toutes les femmes, y compris celles souffrant de handicaps.

L’autodéfense reste souvent perçue, à tort, comme une pratique anxiogène qui alimente la paranoïa et la peur permanente de l’agression. C’est au contraire en regardant la réalité en face, avec les dangers qu’elle comporte, que l’on peut s’y préparer efficacement et se sentir plus apte à y faire face, et donc moins anxieux-se. Vivre dans le déni du risque d’agression créé une forme d’angoisse latente puisqu’on sait que le danger existe – même si on fait semblant de ne pas le voir – mais qu’on ne se donne pas les moyens de l’affronter. Apprendre à se protéger, c’est trouver, face au risque, un juste équilibre entre l’insouciance et la paranoïa.

Ce qui semble avoir fait obstacle à une généralisation de la pratique de l’autodéfense par les femmes en France, c’est la vision de la femme diffusée dans notre société : celle d’une créature douce et fragile qui doit être protégée par les hommes, physiquement plus forts qu’elle. Cette image sexiste et réductrice de la femme a un double effet pervers : d’une part, elle encourage certains hommes à user de coercition violente sur les femmes ; d’autres part, elle dissuade de nombreuses femmes d’essayer de se défendre, en leur faisant croire que toute résistance physique face à un homme est vouée à l’échec et donc inutile. Il en résulte une image de la femme cantonnée au rôle d’éternelle victime. Même quand il s’agit de sensibiliser l’opinion contre les violences faites aux femmes, les media préfèrent représenter des victimes au visage tuméfié par les coups plutôt que des femmes le poing levé face à leurs agresseurs. Accepter qu’une femme soit puissante physiquement et ose lutter face à un homme semble encore tabou dans notre société.

Par ailleurs, on constate, dans certains groupes féministes et certaines associations de défense des victimes, une forte réticence à encourager les femmes à pratiquer l’autodéfense, au motif que cela favoriserait la stigmatisation des victimes (victim-blaming) : les gens risqueraient de penser que si on a enseigné l’autodéfense à une femme et qu’elle est malgré tout agressée, c’est de sa faute. Croire cela, c’est ignorer que l’issue d’une lutte physique est toujours incertaine, y compris pour les combattants les plus entraînés. Même en ayant pris des cours de self-défense, on ne peut jamais être certain-e de sortir victorieux-se en cas d’agression physique. C’est aussi ignorer que le choc d’une agression peut mettre la victime dans un état de sidération qui la rend incapable d’agir. Encourager les femmes à se défendre, ce n’est ni les rendre responsables de l’issue de l’agression, ni reporter sur elles la culpabilité de l’agresseur, c’est seulement leur donner les moyens de rendre cette issue moins défavorable pour elles, c’est leur donner les moyens d’agir au lieu de subir. Qu’il y ait riposte physique ou pas, c’est toujours l’agresseur qui est responsable de l’agression, jamais sa victime.

Pour une autodéfense citoyenne et responsable au service des femmes

L’autodéfense s’inscrit dans une logique de prévention active des agressions, que celles-ci soient commises par des inconnus ou par des proches. Si le travail d’aide aux victimes (sur le plan matériel, juridique, psychologique) est essentiel et doit mobiliser la société et les pouvoirs publics, il ne doit pas occulter les méthodes qui, comme l’autodéfense, peuvent permettre aux femmes d’agir, ici et maintenant, face aux dangers qui les guettent. Mesures d’assistance et mesures de prévention doivent être menées en parallèle, car elles sont complémentaires. La prévention ne doit pas se limiter à des campagnes médiatiques destinées à faire évoluer les mentalités, car cette approche ne peut produire ses fruits qu’à plus long terme et laisse entre temps les femmes démunies face à la violence. Encourager les femmes à prendre en main leur propre sécurité grâce à l’autodéfense, c’est leur permettre d’agir en attendant que les institutions les protègent mieux et que le comportement des agresseurs change. Dire aux femmes que la violence cessera quand les hommes changeront de comportement, c’est mettre la solution du problème entièrement entre les mains des hommes, et forcer les femmes à attendre que les hommes veuillent bien les respecter. En donnant aux femmes des techniques d’autodéfense qui les aideront à se faire respecter des hommes et à éviter leur violence, on permet aux femmes de contribuer activement au changement espéré.

Pour aider les hommes à changer et pour lutter contre la culture de la violence envers les femmes, il est important d’associer les hommes au processus. L’un des forces du programme No means no cité plus haut, c’est de ne pas s’être limité à enseigner l’autodéfense aux filles, mais d’avoir aussi formé des garçons pour leur apprendre à respecter les femmes et à solliciter leur consentement avant l’acte sexuel, à ne pas adhérer aux préjugés sur le viol et aussi à intervenir efficacement quand ils sont témoins d’une tentative d’agression sexuelle. Au-delà d’un simple programme d’autodéfense, ce programme a voulu changer la culture de la violence sexuelle et de la coercition, non pas en opposant filles et garçons, mais au contraire en les unissant autour d’un objectif commun à travers des formations parallèles. Ce programme a porté ses fruits auprès des garçons ayant été formés : 74% des garçons ayant suivi ce programme ont ensuite été capables d’intervenir avec succès pour mettre fin à une tentative de viol dont ils étaient témoins[4]. De plus, la violence exercée dans les couples a diminué. Le programme a substitué à la culture de la violence envers les femmes une culture de la « virilité positive », caractérisée par le courage d’intervenir, aux côtés des femmes, contre ceux qui se donnent le droit de les agresser. Lutter contre les violences envers les femmes, c’est enseigner aux femmes à dire « non », et aux hommes à respecter ce « non ».

L’autodéfense ne peut se généraliser de façon durable et efficace dans notre société que si elle s’exerce dans le cadre légal de la légitime défense et dans le respect des autres. A ce titre, elle a une véritable vocation citoyenne puisqu’elle permet à chacune et chacun d’assurer sa propre sécurité mais aussi de contribuer, dans la mesure du possible, à celle des autres. La violence physique est canalisée pour n’être utilisée que quand elle est indispensable. Ces valeurs doivent s’inculquer dès l’école, à l’âge où les préjugés sexistes, qui nourriront ensuite la violence, commence à germer dans les esprits.

Nos recommandations sont les suivantes :

  • Généraliser l’enseignement de l’autodéfense dès l’école primaire, avant l’entrée dans l’adolescence qui marque le début des risques de violences des garçons envers les filles. Cet enseignement, qui concernerait aussi bien les filles que les garçons, mais selon des modalités différentes, inclurait l’apprentissage de techniques verbales et physiques pour anticiper et faire face à la violence, ainsi que des mises en situation.
  • Encourager la pratique de l’autodéfense par les femmes en développant des partenariats avec des associations, des clubs de sport, et l’octroi de subventions pour que les femmes y aient accès quels que soient leurs revenus. Cette mesure viserait particulièrement les femmes ayant subi des violences conjugales, pour lesquelles l’autodéfense est non seulement un moyen de protection (face à un conjoint ou ex-conjoint toujours menaçant) mais aussi un moyen de reconstruction personnelle, comme l’a souligné Françoise Brié, directrice générale de Solidarité Femmes : « Il est important pour les victimes de reprendre confiance dans leur force physique et dans leur corps. Des activités comme l’autodéfense facilitent ce processus de reconstruction […] » [5].
  • Diffuser une culture positive de l’autodéfense citoyenne et responsable, loin des préjugés, des caricatures et des dérives sécuritaires.

[1] https://www.nomeansnoworldwide.org/research

[2] “Teaching women to fight today could stop rapes tomorrow » Tamara Straus, June 2015. www.qz.com/425030/teachingwomen-to-fight-today-could-stoprapes-tomorrow

[3] The Impact of Victim Self Protection on Rape Completion and Injury – Gary Kleck and Jongyeon Tark – septembre 2005 – https://www.ncjrs.gov/

[4] https://www.nomeansnoworldwide.org/research

[5] Françoise Brié, dans une interview donnée dans le livre “Défendez-vous ! Le Guide Complet des femmes qui prennent leur sécurité en main ».